Cet article sera le premier d’une série consacrée à la création d’un univers de fantasy. Il ne s’agit pas d’un guide mais d’une présentation de ma propre approche pour développer l’univers du Kalishar. C’est un moyen de présenter mes réflexions, mes questionnements et les réponses que j’y ai apporté, mais aussi d’ouvrir le débat, alors n’hésitez pas à réagir en commentaires 🙂
Quand on s’intéresse aux étapes de création d’un monde de fantasy, on conseille généralement aux auteurs d’appliquer ce que j’appelle la méthode du sculpteur. C’est assez intuitif : on va d’abord dégrossir avant d’affiner progressivement jusqu’à obtenir un niveau de détail satisfaisant. Le premier point, généralement, consiste à dessiner une carte. C’est ce que conseillait par exemple David Eddings, le célèbre auteur de La Belgariade. Ensuite, vous effectuez un zoom, sur une région en particulier, puis sur une ville, etc.
La charrue avant les bœufs
En théorie, ça semble être la méthode idéale. Le problème, c’est qu’elle impose de penser votre monde dans toute sa complexité dès le départ. En commençant par dessiner une carte, vous risquez de faire des choix arbitraires et sans liens logiques : « mon royaume principal sera ici, là une forêt, un désert ici ».

De mon point de vue, il s’avère en fait beaucoup plus simple de commencer par le plus petit élément possible (une ville par exemple), de le détailler au maximum, puis de « dézoomer » pour s’intéresser à un second élément et à ses interactions avec le premier. Cette méthode permet d’envisager la création de votre univers comme un réseau complexe et fouillé d’éléments qui interagissent les uns avec les autres plutôt que comme un ensemble déjà formé. La carte devrait être le résultat obtenu par le dessin de ce réseau, pas le point de départ.
Trouver l’équilibre
Faut-il donc choisir l’une ou l’autre de ces méthodes ? En vérité, les deux. Tout d’abord parce qu’un univers de fantasy est avant tout un canevas à partir duquel vous allez développer des histoires. Si vous racontez la lutte d’un héros contre un Empire belliqueux, vous avez déjà des éléments à placer : le pays dont est originaire le héros, l’Empire qu’il affronte, etc. Vous devrez évidemment en tenir compte pour développer votre univers.
Ensuite, parce qu’un monde de fantasy est souvent régi par des règles qui diffèrent des nôtres. Si la magie existe par exemple, elle aura forcément un impact sur la géopolitique globale de votre univers et ce sera donc quelque chose que vous devrez impérativement prendre en compte et formaliser avant de vous intéresser au spécifique.

Un exemple en pratique
C’est la méthode que j’ai appliqué pour créer l’univers du Kalishar. J’avais quelques éléments principaux en tête : l’Empire d’Helvarn, sa religion principale, ses tendances colonialistes, le personnage du Kalishar, un surnaturel et une magie en filigrane, etc.
Mais je n’ai pas commencé par dessiner une carte. J’ai d’abord imaginé la riche ville portuaire de Reshabar, un ancien comptoir de commerce devenu indépendant. Elle a prospéré (comme d’autres cités libres de la côte) en étant financé par les ennemis de l’Empire pour empêcher ce dernier d’avoir un accès à la mer. En tissant ainsi, j’ai pu écrire Le Messager et je continue d’appliquer cette méthode pour mes autres histoires.
Conclusion
Un monde crédible est la somme de tous les éléments qui le composent et du réseau complexe qu’ils tissent ensemble. Comme je le disais en introduction, les articles que je posterais dans cette série n’ont pas vocation à donner des réponses absolues sur la meilleure façon de créer un univers. L’objectif est simplement d’apporter la nuance ou au moins une alternative viable. Le plus important reste de trouver une méthode qui vous convienne.
Le Messager est disponible sur :
Amazon Kindle et Kobo

Stéphane ARNIER says:
« Un univers de fantasy est avant tout un canevas à partir duquel vous allez développer des histoires. »
C’est un point de vue, majoritaire d’ailleurs chez les fans de worldbuilding, mais qui comporte un risque : celui de créer une bonne partie de l’univers en vain. Je suis de l’autre école, qui pense que l’univers devrait découler de l’histoire (non le contraire). Commencer le travail sur un livre par une carte du monde (ou d’une ville) me paraît un contre-sens si on ne sait pas encore ce qu’il s’y passera.
C’est peu ou prou ce que conseille aussi l’auteur Brandon Sanderson dans ses essais que j’ai adapté en français récemment. Mais en vérité on sait tous bien que rien n’est jamais vraiment chronologique en création et qu’on fait de nombreux allers-retours sur tous les sujets à la fois… 😉
Bonne continuation.
10 janvier 2019 — 14 h 00 min
Stéphane Arnier says:
Tu écris : « un univers de fantasy est avant tout un canevas à partir duquel vous allez développer des histoires ». C’est un avis très répandu, mais que je ne partage pas : je suis de ceux qui pensent que nos univers doivent découler de nos histoires, pas l’inverse. Nous sommes des conteurs, et en ce sens c’est le récit qui est important, et lui qui doit venir d’abord.
Plusieurs raisons à cela : 1) créer l’univers en premier est un gâchis de temps, car l’auteur créé de nombreux éléments dont il ne se servira peut-être pas au moment de raconter son histoire ; 2) cela renforce le risque de dévier l’histoire vers des éléments peu intéressants (l’auteur va avoir envie d’utiliser ce qu’il a créé dans son univers, même si ça n’est pas utile à son histoire). Autrement dit : placer une forêt magique sur une carte avant d’avoir son histoire en tête, c’est le risque de ne pas s’en servir ou de vouloir à tout prix que ses personnages y passent sans que ce soit nécessaire. Placer une forêt magique sur la carte *parce qu’on sait* que l’histoire a besoin d’une sylve sacrée pour le déroulement de l’intrigue est autrement plus pertinent. Commencer par l’histoire permet aussi d’affiner le niveau de détails du worldbuilding : inutile de détailler deux villes de la même manière si l’une accueille l’action de cinq chapitres tandis que l’autre n’est qu’une étape d’un paragraphe dans le voyage du héros.
M’enfin, ce n’est que mon avis.
🙂
10 janvier 2019 — 17 h 06 min
Frank Hodiesne says:
Pour être franc, je ne crois pas qu’il faille forcément choisir entre les deux approches. Univers et histoire sont liés et s’alimentent mutuellement et comme tu le dis, le processus de création passe généralement par beaucoup d’allers-retours.
Sur ton premier point, je suis en profond désaccord par contre : en matière de worldbuilding, rien n’est jamais une perte de temps. La force des grands univers de fantasy, c’est justement d’être suffisamment riches pour être le théâtre de plusieurs histoires, parfois à des époques différentes. Un élément qu’on utiliserait pas dans une histoire en particulier n’est pas perdu et, dans le pire des cas, ce sera toujours un moyen pour l’auteur de mieux appréhender le monde qu’il a créé et sa logique interne.
Le risque avec un univers qui découle uniquement de l’histoire, c’est de se retrouver avec un monde purement fonctionnel, où chaque lieu, peuple, personnage, etc. n’existe que pour servir un but précis. Pour reprendre ton exemple, placer une forêt magique sur la carte uniquement parce que l’histoire le nécessite, c’est aussi le risque de ne pas tenir compte d’une logique intrinsèque à l’univers. Pourquoi cette forêt s’est-elle développée ici ? Est-elle source de convoitise, de crainte, par des peuples qui vivent autour d’elle ? On peut se poser mille questions et si la réponse est toujours “Il me fallait juste une forêt pour mon histoire” (je grossis largement le trait hein :p), ça peut devenir problématique.
Merci pour ton commentaire en tout cas, c’est agréable d’avoir des réactions ! 🙂
10 janvier 2019 — 19 h 45 min
Stéphane ARNIER says:
« Le risque avec un univers qui découle uniquement de l’histoire, c’est de se retrouver avec un monde purement fonctionnel, où chaque lieu, peuple, personnage, etc. n’existe que pour servir un but précis. »
Comme quoi tout est affaire de point de vue : ce que tu nommes risque est pour moi un idéal à atteindre. Au final, tout est affaire de compétence surtout, et l’auteur peut faire du bon boulot avec différentes méthodologies s’il choisit celle qui lui correspond le mieux.
(Et pardon pour le double commentaire : le premier fait avec mon téléphone ne s’est pas affiché tout de suite alors j’ai commenté de nouveau via mon pc 😉)
11 janvier 2019 — 7 h 06 min
Julien Hirt says:
Pour moi, il n’y a pas de différence fondamentale entre le worldbuilding dans la fantasy et dans tout autre genre littéraire. Ce qui est réellement important dans un roman de fantasy, c’est ce aussi ce qui est réellement important dans un polar, une romance ou tout autre roman. La plupart des détails que les auteurs de littératures de genre sont tentés d’échafauder au sujet de leur monde de fiction sont superflus.
Est-ce qu’on peut imaginer qu’un auteur d’un livre sur la crise de la quarantaine commence à créer le décor de son roman par dessiner une carte? Non, c’est absurde. Ce n’est pas non plus une priorité dans la fantasy. Ce qui compte, c’est de réfléchir aux personnages, à leurs relations, à leur culture, au cadre rendu nécessaire par l’intrigue, à la meilleure manière de mettre en perspective les thèmes du livre, et le décor se construira de lui-même.
11 janvier 2019 — 10 h 13 min
Frank Hodiesne says:
Le terme de genre pour désigner la fantasy me paraît abusif ou tout du moins inexact. Placer la fantasy (ou la SF) au même niveau que le polar ou la romance, pour reprendre les exemples que tu cites, n’a guère de sens à mes yeux. La fantasy est un cadre dans lequel s’écrit une histoire, qui peut appartenir elle-même à un ou plusieurs genres spécifiques. On peut très bien imaginer une romance ou un polar de fantasy.
Et tu crées d’après moi une dichotomie qui n’a pas lieu d’être entre le fait de créer un univers riche et cohérent et le fait de réfléchir aux personnages, à l’intrigue, etc. Je ne vois aucune raison valable de considérer qu’il faudrait choisir entre l’un ou l’autre et la plupart des grandes œuvres du genre font justement les deux. En tout cas ce n’est évidemment pas mon propos.
11 janvier 2019 — 14 h 29 min